Bill Atkinson : sorcier du Mac et créateur des mythiques MacPaint et Hypercard est mort
lun, 09/06/2025 - 08:37
Une page de l'Histoire d'Apple, et de la micro-informatique, vient de se tourner. Bill Atkinson est mort à 74 ans. Bill fut l'un des développppeurs les plus doués de sa génération et acteur clé du système Apple Lisa et du Macintosh. C'est lui qui va conceptualiser les bases de l'interface graphique du système Lisa et qui va créer les routines pour générer et utiliser les objets graphiques. Si ces routines sont d'abord créées sur Lisa (LisaGraf), elles se seront portées sur Macintosh (QuickDraw).
Rappelons que par défaut, Lisa et Macintosh utilisent un affichage bitmap, donc graphique. Il développe LisaGraf puis QuickDraw. Andy Hertzfeld est l’autre développeur crucial des routines graphiques. Les routines graphiques sont directement intégrées aux ROM pour améliorer les performances. QuickDraw sur Macintosh est développé alors que les prototypes utilisent encore un Lisa et se limitent à 64 Ko de RAM. Et il faut que tout tienne en ROM. LisaGraf / QuickDraw apparaît sur Macintosh au printemps 81 après l’intégration définitive du 68000. C’est durant ces premiers portages que Atkinson propose les célèbres rectangles arrondis, les RoundRects, suite à une idée émise par Jobs.
Une des obsessions de Bill fut la performance. Au printemps 82, il va même réécrire la gestion des régions (l’écran est découpé en régions qu’il faut calculer et afficher même si elle est cachée par un objet d’interface). C’est à ce moment-là que Bill a un terrible accident de la route. L’anecdote est connue : Jobs rend visite à Bill à l’hôpital. Le cofondateur lui dit que tout le monde était inquiet. Bill répond : "pas d’inquiétude Steve, je me souviens des régions (de QuickDraw)".
MacPaint : le tournant de 1982
Pour éprouver les possibilités de LisaGraf, Atkinson développe SketchPad qui deviendra MacSketch sur Macintosh avant d’être renommé MacPaint. Jobs voulait un logiciel équivalent à LisaDraw pour le Mac, mais visiblement, Bill le trouvait complexe et peu intuitif.
Dès le départ, Atkinson cherche une idée pour créer un logiciel simple avec une palette d’outils faciles à utiliser. De là, il développe SketchPad. Sur Macintosh, le défi était de créer un logiciel capable de fonctionner avec seulement 128 Ko de RAM contre 1 Mo pour le Lisa. Rapidement, l’interface se fixe et Bill améliore régulièrement la palette d’outils (crayon, cercle, rectangle, brosse, éponge, etc.). Créer chaque outil nécessite une optimisation sévère pour tenir dans les contraintes de ressources du Mac.
En avril 83, le logiciel devient MacPaint. À partir de là, Bill accélère le développement et ajoute de nouvelles fonctionnalités et améliore le déplacement des objets sur la fenêtre de travail. En juin, il fixe l’utilisation et la manipulation des textes. Mais il va retirer cette fonctionnalité : MacPaint ne doit pas devenir un traitement de texte, ce n’est pas son rôle.
Après 18 mois de travail, MacPaint est quasiment terminé en octobre 83. Il reste des bugs et des optimisations à faire. L’un des apports cruciaux du logiciel est la palette d’outils qui s’impose dans de nombreux logiciels de création et de développement, sans oublier la rotation d’un objet. Susan Kare est d’une aide précieuse pour le design des icônes et des polices qui seront intégrées à MacPaint. Finalement, la version 1.0 comprend 58 040 lignes de code en Pascal et 2 738 en Assembleur 68000. En comparaison, QuikDraw c’est plus de 70 000 lignes d’Assembleur.
Bill Atkinson est un des sorciers du Mac et peut-être le meilleur développeur / concepteur de l’équipe avec Andy Hertzfeld. Quelques mois après la sortie du Mac, il invente HyperCard. Il était très mécontent du manque de reconnaissance d'Apple pour son travail sur le Lisa. Steve Jobs reconnait en lui un développeur de génie. Pour remercier le travail de l'équipe, il décide d'inclure dans le boîtier les signatures de 47 membres d'équipe Macintosh et Jobs pousse à donner à Bill le titre hautement symbolique d'Apple Fellow.
L'aventure Hypercard et départ de Bill
De nombreux logiciels Apple sont parmi les plus importants de la micro-informatique. Hypercard tient une place à part. Son auteur n’est qu’autre que Bill Atkinson un des plus talentueux développeurs du Lisa et du Macintosh. Son travail fut crucial pour l’interface graphique, la gestion de la souris ou encore les routines graphiques, QuickDraw. Il rejoint Apple en 1978. Il développe MacPaint qui devient très rapidement le logiciel référence du Macintosh.
Durant une expérience sous LSD, Atkinson imagine la métaphore de la programmation, une autre manière de voir le logiciel et de les concevoir. Cette idée donne naissance à HyperCard. Voilà pour la légende. La réalité est un peu différente…
Atkinson fait une dépression après la sortie du Macintosh. La tension était telle durant les mois précédents qu’une partie de l’équipe a besoin de souffler et de faire autre chose. Jobs avait évoqué, dès la reprise en main du projet Macintosh, que l’ordinateur pourrait tenir dans un livre dans les 5 ans.
Cette vision inspira Atkinson et il décida de la développer à partir de la seconde moitié de 1984. Il s’inspira du concept du Dynabook d’Alan Kay. L’idée du Dynabook est de créer une ordinateur portable grand public et particulièrement pour les enfants et les écoles. C’est le projet Magic Slate. Le projet est ambitieux : écran à cristaux liquides, stylet, écran tactile, notion de pages que l’on tourne pour les contenus et les applications, notion d’hyperlien pour naviguer entre les pages. Le format est celui d’une page papier. Le système est entièrement graphique. En 84-85, ces technologies sont embryonnaires et coûtent très chères. Pour animer le Magic Slate, Atkinson repose sur l’électronique du Mac 512 Ko.
A cette époque, Atkinson, comme plusieurs autres ingénieurs de la Pomme, est un Apple Fellow, le titre honorifique le plus important du constructeur. L’Apple Fellow a une liberté de réflexion et de projets, avec un budget dédié.
Cependant, la situation chez Apple a changé radicalement après l’automne 84. Jobs est mis à l’écart du Macintosh et quitte la société le 16 septembre 1985, mais cela fait plusieurs mois que son rôle exécutif est réduit à quasiment rien. John Sculley est le véritable patron. En 85, la direction d’Apple veut arrêter de livrer en standard MacPaint avec chaque Macintosh. Cette décision affecte Atkinson. Et la direction ne soutient pas le projet Magic Slate et refuse de produire un tel produit. Déçu, Atkinson garde l’idée des pages pour imaginer un logiciel de programmation révolutionnaire : WildCard. Cependant, il hésite à le soumettre à Apple suite aux déconvenues et il est tenté par quitter la société.
Le développement du projet démarre réellement dans les premiers mois de 1985. Après plusieurs mois de travail, il présente le WildCard à Sculley qui est séduit par l’idée. Atkinson pose des conditions pour rester et terminer le travail : que le logiciel soit livré avec tous les Macintosh. Sculley accepte. Une équipe est montée pour finaliser l’environnement, créer la documentation. Le produit est renommé HyperCard. Le langage, HyperTalk, est implémenté par Dan Winkler. Jobs, alors en pleine création de NeXT, veut attirer Atkinson, mais le développeur reste chez Apple pour terminer son projet.
HyperCard est officiellement annoncé le 11 août 1987.
La base du logiciel est de créer un univers de programmation le plus accessible possible avec des notions de métaphores (les piles et les cartes) avec un langage de programmation en langage naturel, HyperTalk. Le succès fut immédiat.
HyperCard est une étape importante dans la programmation, car pour la première fois, tout le monde peut créer des logiciels rapidement. La programmation par événement est démocratisée. L’environnement peut être vu comme le précurseur de Visual Basic et de sa programmation dite Lego avec les composants.
Une gestion incertaine et de longues attentes
La version 2.0 fut dirigée par Kevin Calhoun. Elle sort en 1990. La v2 inclut un compilateur, des performances largement en hausse, un nouveau mode de debug. Une version Apple IIgs fut même développée. Au même moment, plusieurs développeurs d’Apple partent et créent General Magic dont Atkinson. La gestion de la couleur apparaît avec la version 2.3.
Mais HyperCard est finalement un logiciel à part et Apple ne sait pas comment le gérer. Il fut confié à la nouvelle filiale logicielle : Claris et il n’est plus livré en standard avec les Mac. Il subit la concurrence de nouveaux outils comme Authorware. Le côté hypermédia, l’intégration et la manipulation de multiples médias et contenus attirent naturellement l’outil dans l’équipe QuickTime. La notion d’hyperlien est centrale dans HyperCard. C’est grâce à ce lien que l’on navigue d’une page à une autre, comme un hyperlien web. Hypercard est le premier logiciel à généraliser l’hyperlien. Ce concept inspira les travaux de Bernes-Lee et Cailliau au Cern sur le WWW.
Un important travail de reboot fut entamé avec HyperCard 3.0. La version est officiellement présentée, en version alpha / bêta, à la WWDC de 1996. L’environnement supportait totalement QuickTime, QuickDraw 3D et pouvait générer des contenus compatibles pour les navigateurs internet. Les rumeurs se multiplient après l’été 96 pour une sortie en 1997 puis en 1998 ou 1999.
Le retour de Jobs condamne le logiciel même si officiellement, HyperCard est toujours actif. L’équipe est dispersée pour rejoindre d’autres projets. La dernière version sort en avril 1998 : HyperCard 2.4.
HyperCard fut-il victime de Jobs ? Plusieurs explications peuvent être données : le fait que Atkinson reste chez Apple et ne rejoint pas NeXT, que le logiciel soit marqué de la période Sculley (Jobs aura une rancune tenace contre Sculley) ou encore que HyperCard n’était plus LE logiciel de création multimédia de référence.
Pour l'anecdote, Robert Cailliau, un des co-créateurs du WWW et du HTML avec Berners-Lee, s'est inspiré d'HyperCard et de sa notion d'hyperlien. Il y a un peu de Bill dans le Web...
Pour aller plus loin sur le rôle clé de Bill : Technosaures, la trilogie Apple https://www.programmez.com/technosaures/offre-speciale-la-trilogie-apple