Sunday, bloody … server !

Par :
Frédéric Mazué

mer, 10/06/2009 - 14:58

Les fans de U2 ont récemment expérimenté une file d’attente numérique. Ils ne sont pas les premiers, mais espérons qu’ils figurent parmi les derniers. A l’inverse d’une idée reçue dans le métier, cette mésaventure atteste que le web n’est pas encore une commodité, et que de gros efforts restent à fournir pour accomplir la mutation en cours vers cette nouvelle économie. Un exposé de Christopher Quinton, Directeur France NTT Europe Online
Les fans de U2 ont récemment expérimenté une file d’attente numérique. Ils ne sont pas les premiers, mais espérons qu’ils figurent parmi les derniers. A l’inverse d’une idée reçue dans le métier, cette mésaventure atteste que le web n’est pas encore une commodité, et que de gros efforts restent à fournir pour accomplir la mutation en cours vers notre nouvelle économie, que je qualifierais d’économie de l’attention. Certains secteurs, comme la presse elle-même, doivent encore assurer leur mutation, car à l’heure ou la consommation numérique se développe, chaque seconde d’indisponibilité compte.


Christopher Quinton, Directeur France NTT Europe Online

Devoir de validation 33 secondes… C’est le temps qu’ont du attendre certains internautes pour voir s’afficher une page leur permettant de valider l’achat d’un ticket de concert. Bien sûr ils n’attendaient plus dehors, par un froid glacé et sous la pluie, l’ouverture d’un guichet unique. Bien sûr, les temps ont changé et les services disponibles en ligne ont apporté un réel confort dans un nombre croissant de secteurs. Il n’en demeure pas moins que de trop nombreux sites ne sont pas gérés de telle façon qu’ils soient capables d’absorber des pics d’audience, dont une grande partie sont pourtant prévisibles.

Il s’agit ici d’un concert de U2, et après m’être excusé auprès des fans, je crois pouvoir dire que l’enjeu n’est pas critique. Mais qu’en serait-il si la mésaventure arrivait à des milliers de télé déclarants ? Combien d’entre nous n’ont-ils pas un jour vécu l’expérience d’une « rage informatique » face à un site récalcitrant ? Voyages, banque en ligne, e-administration, presse, e-commerce, notre dépendance numérique s’accroît chaque jour et deviendra irrémédiablement totale dans un avenir certainement plus proche qu’on ne l’imagine. Il est donc de notre devoir de valider la disponibilité de l’information.

L’attention devient un enjeu stratégique Le corolaire de cette transformation est la transition de notre modèle actuel vers une économie de l’attention. Dans un monde sans cesse plus riche en information, au sein duquel sur 100 résultats pertinents remontés d’une recherche Google, les seuls 5 premiers captent 65% des taux de clics (IProspect, Q1 2008), c’est l’attention qui devient la denrée rare. Les marques la recherche depuis toujours, la presse s’interroge maintenant sur la meilleure façon de la fidéliser sur notre nouveau média. Car l’internaute, doublé de son compère le mobinaute, sont devenus des butineurs frivoles et infidèles. Toute la nuance réside donc dans la valeur ajoutée de l’information que l’on détient. A ce titre, le travail des professionnels de la presse écrite est louable, tant ils montrent leur attachement à développer des moyens nouveaux pour apporter en ligne un contenu toujours plus riche et adapté au support. Mais ce n’est pas ici des modèles de revenus qu’il me paraît important de débattre, mais des moyens mis en œuvre pour les rendre possible.

L’expertise vidéo par exemple. S’il était aussi facile de mettre en œuvre des accès rapides et fiables à la vidéo que ce que certains prétendent, pourquoi alors verrions-nous encore des procès de médias, tentant de protéger leurs contenus, à l’encontre des plates-formes spécialisées en la matière. « Ils n’avaient qu’à le faire eux-mêmes » serais-je tenté d’objecter. Comment se fait-il en effet que les grands carrefours médias « broadcast » n’aient réussi à drainer sur leurs sites qu’une partie de leur audience télévisuelle ?

Sans non plus entrer dans le débat des droits d’auteurs, il semble pourtant que les maîtres mots pour le maintien d’une bonne fréquentation et la conservation d’une haute image de marque, soient désormais devenus Référencement Naturel (ouSearch Engine Optimisation), disponibilité permanente et rapidité de l’accès à l’information. C’est à ce prix uniquement que l’attention sera retenue.

Assurer la disponibilité pour contrer l’infidélité Le parallèle avec les marques de e-commerce est saisissant, tant le taux de transfert à la concurrence est fort. Certaines études démontrent que pas moins de 28% des visiteurs d’un site n’y retournent pas s’ils jugent que les performances ne sont pas à la hauteur… Près de 30% de trafic perdu, aucune marque dans aucune économie n’a jamais été prête à risquer une telle proportion de son activité. Mais au déjà dramatique désintéressement de l’internaute s’ajoute en plus la pénalité infligée par les moteurs de recherches, qui las d’attendre une réponse, ne remontent au « requêteur » que les adresses des sites qui ont daigné leur répondre rapidement.

L’internaute se déporte donc non seulement rapidement d’un site à un autre, il est également mobile géographiquement, et au même titre que sa couverture GSM doit être irréprochable sur tout son territoire, la disponibilité de son information et sa rapidité d’accès doivent être garanties partout dans le monde.

L’attention dépend bien sûr de la patience dont sont prêts à faire preuve les visiteurs, dépendante elle-même des classes d’âge ou d’autres facteurs socio-économiques. Pourtant, en 2009, les problèmes de disponibilités sont encore légions, et ce dans des conditions normales d’utilisation. Qu’adviendrait-il d’eux en cas de pic de fréquentation ?

La question se pose également pour les institutions publiques, relativement incontournables dans un pays comme la France. Il apparaît sensé de penser qu’elles vont naturellement opérer une mutation vers des services en ligne, pour le plus grand profit des administrés. Mais là aussi, les tâches d’interconnexion de systèmes complexes risquent de peser, pendant un temps au moins, sur la nécessaire disponibilité.

Ainsi, la nouveauté de notre ère est que l’Internet remet les prestataires de services (qui nous vendent des tickets de concert, par exemple), les marques, les institutions et les médias sur un pied d’égalité. Qu’il s’agisse de mairies, de chaînes de télévisions, d’artisans ou de champions du luxe ou de la construction, chacun sait désormais que le futur de son identité, de sa réputation et de l’attention qui lui sera portée se joue notamment, et pour une part grandissante, en ligne. A chacun de ces acteurs donc de se responsabiliser, et ce d’autant plus fortement que sa situation de marché est prédominante.

Limiter l’investissement en misant sur ses spécificités Observée d’un point de vue technique, cette responsabilisation passe certainement par une étude approfondie des caractéristiques qui rendent le contenu de chacun spécifique, et des facteurs techniques dont découle sa disponibilité. La complexité de la chaîne numérique rend sa maîtrise complète impossible, et chacun sait que l’efficacité du dernier kilomètre, élément encore fragile dans certaines régions, joue un rôle important. Mais les éditeurs de sites doivent imaginer une architecture propre à leur modèle, en focalisant sur la solidité et la capacité de supporter les charges des éléments critiques.

A l’heure des arbitrages, un site de e-commerce devra par exemple concentrer son attention sur le dimensionnement de sa plate-forme, en tenant compte de la saisonnalité, sur les performances de son outil transactionnel, ou sur la fiabilité de son CRM. Parallèlement, un site d’actualité ou un portail aura tendance à investir sur la périphérie du réseau, pour assurer une proximité physique du contenu, en structurant un système de cache adapté à ses régions phares.

Il est donc temps, pour les éditeurs de sites qui veulent conserver une part de l’attention, de penser leur systèmes en fonction de leurs enjeux propres, et d’offrir aux utilisateurs la disponibilité qu’ils sont légitiment en droit d’attendre.

Ainsi la technologie, si elle est correctement mise au service d’un modèle d’entreprise, permet d’offrir le meilleur du contenu, quel qu’il soit, pour in fine, conserver l’attention et la confiance du public. En parallèle, notre dépendance croissante aux services en lignes nous expose à l’éventualité de plus en plus réelle de désagréables prises d’otages en ligne… ! En France, de nombreux services encore quasi-monopolistiques devraient rapidement songer à offrir une qualité de service irréprochable, en gardant à l’instar de U2, comme « ligne d’horizon », l’ouverture de leur marché à la concurrence…

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Frédéric Mazué